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EELV Moselle Nord
23 février 2009

La grande révolte des "colonies"

La grande révolte des colonies


Noël Mamère, député Vert,  le 16 février 2009

Guyane, Guadeloupe, Martinique, Réunion. Par vagues successives, les peuples des dernières colonies de l’Empire se mettent en mouvement pour exiger leurs droits à la dignité et à la justice sociale. La crise et la baisse du pouvoir d’achat ont fédéré les populations contre un pouvoir colonial qui maintient ces territoires dans une marginalisation entretenue depuis des décennies.

La Guadeloupe est aujourd’hui paralysée par une grève générale commencée le 20 janvier et dont les principales revendications sont : l’augmentation du SMIC de 200 euros et de tous les minima sociaux, la baisse des prix, notamment des carburants, le blocage des loyers. En tout, 146 revendications, qui ont été établies par la population, à travers ses organisations syndicales et populaires, réunies dans un collectif LKP ( Liyannaj Kont Pwofitasyon, Mouvement contre l’exploitation ), le plus puissant jamais développé dans l’île. Le 30 janvier, à Pointe-à-Pitre, il avait réussi à rassembler plus de 65000 personnes, soit à peu près 15 % de la population totale de Guadeloupe. Mais ce mouvement, historique, ne se limite pas à l’exigence d’un plan d’urgence face à la crise, il fédère la colère, au nom du respect, de l’égalité sociale et de la mémoire collective issue de l’esclavage. Les collectifs qui structurent ce soulèvement identitaire, réunissent toutes les générations, toutes les catégories sociales, la plupart des organisations syndicales, associatives et politiques de l’île. C’est comme si toute une histoire, faite d’humiliation rentrée, de demande de réparations passée aux oubliettes de l’Histoire, de rage alimentée par les promesses non tenues, de discours infantilisants et paternalistes, de clientélisme politique et social, ressurgissait contre la domination d’une métropole lointaine qui a su exploiter les terres et les corps, de la période esclavagiste à celle du RMI forcé, sans jamais donner une once de pouvoir réel aux peuples discriminés et dominés par une poignée de familles békés, héritières des colons blancs esclavagistes. Certains de ces entrepreneurs békés en sont encore à « vouloir préserver la race », comme a osé le dire l’un deux au Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer. Cet apartheid social et ethnique est d’autant plus insupportable qu’il se conjugue avec un monopole de la production et de la distribution, qui empêche toute émancipation des populations locales. En Martinique comme en Guadeloupe, huit familles contrôlent toute l’économie des îles. A la Guadeloupe, par exemple, le monopole de la distribution de l’essence est contrôlé par la SARA, une filiale de Total dont on annonce dans le même temps à Paris une hausse des bénéfices de 14 milliards.

Ces territoires, dits d’outre mer, ont le plus fort taux de chômage, ils croulent sous la misère, le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté est trois fois plus important qu’en métropole et on y compte cinq fois plus de érémistes. La vie chère n’est pas un slogan syndical. Alors que les salaires sont en moyenne de 12 % moins élevés qu’en métropole, les prix connaissent des écarts allant de 30 à 80 % pour les produits de première nécessité. Les postes de responsabilités sont trustés par des blancs, reléguant les populations créoles au rôle de sous-fifre. Depuis que le scandale du chlordécone a été identifié, dénoncé et les responsabilités établies, rien n’a été fait pour enrayer ce fléau et juger les coupables...

Les clichés des îles, du soleil, de la mer et du punch, ne résistent pas une minute à l’examen de la réalité. Cela ne pouvait durer indéfiniment. Cette fois- ci, le système craque de partout. Le mépris dont a fait preuve Nicolas Sarkozy, en ne citant même pas le cas de la Guadeloupe, en grève depuis trois semaines, dans son long monologue de plus de 90 minutes, est l’indice supplémentaire de l’irrespect des autorités françaises, ressenti comme du mépris et de l’humiliation. Le rappel à Paris du sous-ministre Jégo, qui s’était pourtant engagé au nom de l’Etat à conclure un accord avec le collectif, a fait déborder le vase. Visiblement, la seule tactique du patronat local et de l’Etat français, est de jouer le pourrissement du mouvement pour, ensuite, réprimer, peut-être dans le sang, ce mouvement populaire sans précédent.

Elie Domota, qui connaît son histoire, a d’ailleurs réclamé justice et vérité sur les massacres de mai 1967, qui avaient fait 120 morts et qui s’étaient conclus par le jugement inique des militants indépendantistes. La manifestation de samedi dernier, au Moule, rassemblait des milliers de personnes, dans une marche en hommage aux cinq ouvriers de la canne à sucre, tués le 14 février alors que, comme aujourd’hui, ils réclamaient une augmentation de salaire.

La question de la mémoire est une donnée de la politique antillaise, pour le pouvoir et les békés, comme pour les créoles. A peine quelques mois après l’enterrement en grande pompe d’Aimé Césaire, on essaye d’enterrer ce mouvement, en l’étouffant, en l’isolant, en le réprimant, comme les politiciens de la métropole l’ont toujours fait. Mais cette fois, la coupe est pleine pour ceux qui se sentent en permanence insultés par une politique discriminatoire ancrée dans leurs mémoires. Ils en ont assez de ces vexations permanentes , imposées par les héritiers de la traite négrière, que ce soient les patrons békés, les autorités coloniales, les préfets, les gendarmes et les ministres turbos. L’humiliation a un prix. C’est ce que nous dit cette révolte qui vient de loin. Ce prix, c’est celui du droit de réparation, de la dette écologique, humaine, sociale, due par le pouvoir colonial aux territoires d’Outre-mer. Un plan de réparation devrait non seulement entériner les revendications légitimes du collectif mais encore créer les conditions d’un alter développement des îles, pour en finir avec l’économie dépendante de la rente, le pouvoir d’une caste, les prébendes et la corruption. Sortir du colonialisme, c’est sortir de la tutelle parisienne et de la spoliation généralisée, c’est respecter le droit à l’autodétermination, quelle qu’en soit la forme décidée par les populations locales.

Au moment même où Obama incarne la longue marche pour les droits civiques des fils et des filles d’esclaves, la révolte citoyenne se généralise dans les confettis de l’Empire. Les tambours grondent et rappellent la phrase de Frantz fanon, l’enfant de la Martinique, qui s’engagea dans les rangs du FLN Algérien : « Nous nous sommes mis debout et nous avançons maintenant. Qui peut nous réinstaller dans la servitude ? » Devant ce soulèvement de la dignité, la réponse de Sarkozy apparaît comme dérisoire et à contretemps. Il envoie des escadrons de gendarmerie et des médiateurs sans autre pouvoir que de tout faire pour ne pas céder devant les revendications légitimes d’un peuple uni, debout et qui résiste.

« La Guadeloupe est à nous/ La Guadeloupe n’est pas à vous/ Vous ne pourrez plus faire ce que vous voulez/ Dans ce pays qui est le nôtre »... Nos concitoyens ultramarins ne veulent plus être "considérés comme des chiens". Aujourd’hui, les « chiens » se lèvent et ont décidé de mordre.

Noël Mamère, député Vert,  le 16 février 2009

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